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LE CONTE DE MA VIE.
vu quelque fantôme! dit une des femmes, et je le
crus presque moi mème.
Ma mère se remaria à un jeune ouvrier; mais
sa famille trouvant qu’il avait fait un mauvais parti
ne voulut recevoir ni ma mère ni moi. Mon beau
père était d’humeur façile et douce et ne se mélait
nullement de mon éducation, je pus donc continuer
à mon aise à m'occuper de mes poupées, de mon
théâtre, et mon plus grand plaisir consistait toujours
à rassembler des chiffons de toutes couleurs et à en
faire des habits pour mes marionettes, ce que ma
mère voyait de bon ocil comme une excellente pré-
paration au métier de tailleur pour lequel elle me
croyait fermement appelé. J’assurais néanmoins que
je voulais me vouer au théâtre et devenir acteur,
ma mère s’opposait vivement à ce désir; elle ne
connaissait du théâtre que la troupe ambulante et les
danseurs de corde, et trouvait la vocation de tailleur
infiniment plus noble ; donc ‘c’était tailleur qu’elle vou-
lait me voir devenir! — la seule chose qui me con-
solait dans cette‘'décision ‘était l’idée d’avoir alôrs des
chiffons tarit et‘ plus*à ma disposition. Cépendant
ma passion pour la lecturé, la quantité de scènes
dramatiques‘ que je savais par coeur, ma voix remar-
quablement belle, tout cela éveilla l’attention de plu-
sieurs des prefmières familles d’Odense. Elles me
firent appeler: mon individualité singulière leur ins-
pira de l’interet; ce fut particulièrement le colonel
Hoegh Guldberg qui m’en témoigna ainsi que sa fa-