Full text: Contes danois

X XIV 
HANS CHRISTIAN ANDERSEN. 
Ni elle ni les autres ne purent me faire dire ce qui m’était 
arrivé. « Il aura vu un revenant, » dit une femme, et l’ex- 
plication satisfit tout le monde et moi-même. 
« Ma mère se remaria avec un artisan dont la famille 
blâma cette union trop peu avantageuse et ne voulut recevoir 
ni ma mère ni moi. Mon beau-père était un jeune homme 
tranquille qui n’entreprit nullement de se mêler de mon édu- 
cation. Aussi ne vivais-je plus que pour mon théâtre : J étais 
constamment occupé à rassembler des chiffons de couleur que 
je coupais et cousais pour mes marionnettes. Ma mère voyait 
là un exercice utile, et croyait qu’il indiquait que j'étais né 
pour être tailleur. J'en concluais au contraire que j'avais des 
dispositions pour le théâtre et que je devais être un jour 
comédien. À ceci ma mère s’opposait formellement. Elle ne 
connaissait en fait de gens de théâtre que les histrions ambu- 
lants et les danseurs de corde, personnages de mince réputa- 
lon. Force était donc d’apprendre l’état de tailleur et d’en- 
‘rer en apprentissage. La seule chose qui me réconciliät avec 
cette profession, c'était qu’elle me procurerait sans doute 
beaucoup de morceaux de drap pour les costumes de mes 
poupées. 
« Ma belle voix, la mémoire dont je faisais preuve en 
letenant par cœur des scènes entières de pièces de théâtre, 
avaient attiré sur moi l’attention de plusieurs familles distin- 
guées de la ville. Elles prirent goût à ma personne bizarre 
et m'admirent chez elles, la plupart pour se divertir. Tou- 
tefois le colonel Hoegh Guldberg et sa famille me témoignèrent 
un véritable intérêt. 
« J'étais devenu un grand Sarçon; ma mère ne voulait 
plus me laisser sans direction ni sans but. J’allai à l’école
	        
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