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CONTES D’ANDERSEN.
« Qu’est-ce que tu portes là ? lui demanda le paysan
— Un sac de pommes rabougries que je vais donner aux
cochons.
— Comment ! des pommes rabougries aux cochons! mais
c’est une prodigalité insensée! Ma chère femme fait grand
cas des pommes rabougries. Comme elle se réjouirait d’avoir
toutes ces pommes! L’an dernier, notre vieux pommier près
de l’écurie ne donna qu’une seule pomme : on la placça sur
l’’armoire et on la conserva jusqu'à ce qu'elle fût pourrie.
« Cela prouve toujours qu’on est à son aise, » disait ma
femme. Que dirait-elle si elle en avait plein ce sac? Je vou-
drais bien lui procurer cette joie.
—Ehbien ! que donneriez-vous pour ce sac ? dit le garçon.
— Ce que je donnerais! mais cette poule donc! n'est-ce
pas suffisant? »
Ils troquèrent à l’instant et le paysan pénétra dans la
salle de l’auberge avec son sac qu’il plaça avec soin contre
le poêle. Puis il alla à la buvette. Le poële était chauffé, le
bonhomme n’y prit pas garde.
Il y avait là beaucoup de monde, des maquignons, des
bouviers et aussi deux voyageurs anglais. Ces Anglais étaient
si riches que leurs poches étaient comme bondées de pièces
d'or. Et comme ils aimaient à faire des paris! tu vas en
juger.
« Ss ss. » Quel bruit fait donc le poële? C’étaient les
pommes qui commençaient à cuire.
« Qu’est-ce que cela? demanda un des Anglais. — Ah!
mes pommes ! » dit le paysan, et il raconta à l’Anglais l'his-
toire du cheval qu’il avait échangé contre une vache, et ainsi
de suite jusqu’aux pommes.